Ancienne usine de torpille (Bivše tvornice torpedo)
Ulica Milutina Barača 60, 51000, Rijeka, Croatie
Rijeka, troisième ville la plus peuplée de Croatie, est très peu connue des touristes. Encore moins de personnes savent qu’une des armes ayant révolutionné la marine militaire y a été inventée et que les vestiges industriels sont encore visibles aujourd’hui. Pour le comprendre, il faut d’abord s’intéresser à l’histoire de cette ville, plus connue sous le nom de Fiume car elle fut majoritairement habitée par des italiens jusqu’en 1945. Après la première guerre mondiale, les alliés comptaient faire de cette cité un état tampon indépendant dans une région où les tensions entre les peuples croate, slovène et serbe étaient déjà fortes. La situation confuse engendrée par les tractations politiques permit à une troupe irrégulière d’italiens, avec à leur tête le poète Gabriele D’Annunzio, d’occuper brièvement la ville et de créer un état indépendant sous le nom de la « Régence italienne de Carnaro ». Ils furent ensuite chassés par l’armée italienne et « l’État libre de Fiume » fut crée, quatre ans avant que la ville ne soit annexée par l’Italie. Ce statut particulier est à comprendre par la situation de la ville au carrefour de plusieurs états et par son autonomie dans l’empire austro-hongrois qui remonte à un décret de l’empereur Charles de Habsbourg en 1719, la proclamant « port franc ». Ce qui sera confirmé 60 ans plus tard, sous le règne de l’impératrice Marie-Thérèse, par l’acquisition du statut de « corpus separatum » (Ce statut fut par exemple proposé pour Jérusalem par les Nations Unis en 1947).
C’est dans ce contexte que l’ingénieur britannique Robert Whitehead pris la direction de la fonderie « Fonderia Metalli » en 1856 dont il changea le nom en « Stabilimento Tecnico Fiumano » et commença à construire des machines et des chaudières à vapeur pour les navires. Sa capacité de production permit entre-autre le développement de la marine autrichienne et en 1864, sa notoriété amène celle-ci à le mettre en contact avec l’officier-ingénieur Giovanni Luppis (né à Fiume), afin de perfectionner un prototype de mines flottantes téléguidées depuis le rivage, appelé le « salvacoste », qu’il avait développé. Suite à l’échec du travail en commun, Robert Whitehead reprend l’idée en cherchant à améliorer son efficacité en faisant évoluer son modèle sous l’eau afin de pouvoir toucher les navires sous la ligne de flottaison. Il présenta son premier prototype sous le nom de « mine à bateau » en 1866 à la marine autrichienne. Elle avait une largeur de 35,5cm, pour une longueur 335cm et un poids de 136kg (dont les neuf kilos de la charge explosive en tête). Elle était autopropulsée par de l’air comprimé pour atteindre une vitesse de 6 nœuds et pouvait atteindre des cibles jusqu’à 400m de distance. Les tests ont été un succès et le gouvernement autrichien passa la première commande, ce qui n’empêcha pas la « Stabilimento Technico Fiumano » de faire faillite en 1873.
Suite à celle-ci, Robert Whitehead racheta la totalité de l’affaire et la transforma deux ans après en compagnie privée sous le nom de « Whitehead & Co. », ce qui lui permit de vendre son arme à toutes les marines militaires du monde. Il a ensuite continué de développer son activité, en ouvrant des succursales à l’étranger et à perfectionner ses torpilles, en leur faisant par exemple atteindre une vitesse de 30 nœuds en 1890 ou en leur ajoutant un gyroscope en 1895. A la mort de Robert Whitehead, l’usine est rachetée par les entreprises britanniques « Vickers Ltd. » et « Armstrong-Whitworth & Co. », qui en garderont le contrôle jusqu’à la seconde guerre mondiale. D’après les seuls chiffres disponibles, de 1866 jusqu’en août 1943, 20323 torpilles ont été produites à Fiume et cette usine a fait de la ville un des centres industriels les plus modernes au monde.
Après la création de la Yougoslavie, l’activité de l’usine est partagée entre la production de torpilles et la production de divers produits de consommation puis de moteurs diesel à partir de 1953. La production à usage militaire sera définitivement arrêtée en 1966 et il ne restera comme souvenir du glorieux passé de l’usine que le nom « Usine Torpedo de moteurs ». Aujourd’hui, le site est en partie utilisé comme marché à poisson et le reste est malheureusement abandonné. On y retrouve de grands ateliers le long du littoral et à proximité d’un port mais surtout la rampe de lancement construite dans les années 30 pour les essais des torpilles, qui est un exemple rare de ce type d’architecture. C’est peut être son état d’abandon à proximité de la mer, combiné à son histoire qui donne un certain charme à ce site.