Calvaire de la Protestation
A l’entrée du parc de la Baronnais sur la rue Marcellin Berthelot, 22220 Tréguier
Un monument est généralement construit pour commémorer un évènement (comme une bataille), une personnalité, des personnes tuées ou disparues par faits de guerre, mais rarement en signe de protestation, cela se manifestant surtout par des dégradations. C’est pourtant le cas à Tréguier, où un calvaire a été inauguré en 1904 pour protester contre la présence d’un autre monument dans un lieu symbolique.
Ce monument a été élevé en l’honneur d’Ernest Renan, dont la statue est dominée par celle d’Athéna, allégorie de la Pensée libre. Né à Tréguier, cet écrivain, philologue et philosophe, a écris de nombreuses œuvres en rapport avec la religion, dont une « Histoire des origines du christianisme », et une « Vie de Jésus ». Dans cette dernière, la plus controversé, il défend que la biographie de Jésus doit être écrite comme celle de n’importe quel humain, et donc que les Évangiles doivent être soumis à la même analyse critique que n’importe quel document historique. Parue en 1863, elle a entrainé de nombreuses réactions partout en Europe, et le pape surnomma Ernest Renan « le blasphémateur européen ». Malgré une opposition d’une partie de la classe politique (et notamment du parti religieux), il fut membre de l’Académie française, reçu l’ordre de Grand-officier de la Légion d’honneur, et ses funérailles en 1892 eurent lieu aux frais de l’État.
L’érection d’une statue en son honneur dans sa commune natale une dizaine d’années plus tard était donc légitime. Mais il fut décidé de l’installer sur la place principale, et donc en face de la cathédrale, ce qui entraina une forte protestation dans cette région de la Bretagne encore très pieuse. Son inauguration les 12, 13 et 14 septembre 1903, avec la présence de nombreuses personnalités dont Anatole France, le ministre de l’Instruction publique Joseph Chaumié, et le Président du conseil (chef du gouvernement) Émile Combes, a rendu cet évènement encore plus symbolique, en pleine période de politique de laïcisation qui allait déboucher sur la séparation de l’Église et de l’État. Lors des célébrations un arrêté du maire interdisait même de faire sonner les cloches. Les contre-manifestants décidèrent de se réunir dans la cathédrale pour prier, mais l’ambiance tendue se traduisit par de violentes émeutes entra les partisans des deux camps.
Cette action était ressentie par les catholiques de Bretagne comme une offense faite par la République, et afin de protester, ceux-ci lancèrent une souscription nationale, afin d’ériger un « calvaire de réparation », dit aussi « calvaire de protestation ». Construit en pierre de Kersanton (de couleur grise), le monument a été réalisé par les ateliers Yves Hernot de Lannion. Il se compose de trois colonnes portant un Christ sur la croix, entre deux larrons, et au pied desquelles se trouvent Saint Longin le Centurion, la Vierge, saint Jean, Marie-Madeleine, et Marie-Salomé. Le tout repose sur un socle, décoré d’un bas-relief représentant saint Yves, et encadré de armes de Pie X et de l’évêque de Saint-Brieuc. La parole prononcé par le centurion romain au pied de la croix est inscrite sur sa partie basse, en trois langues (latin, breton et français): « Cet homme était vraiment le Fils de Dieu ».
Le calvaire, installé sur un emmarchement, est entouré par une clôture dont chaque pilier porte la statue d’un saint, dont saint André, saint Brieuc, saint Georges, saint Maurice, saint Tugdual (fondateur de Tréguier), saint Pierre, et enfin saint Louis et Jeanne d’Arc (tous les deux à proximité du Christ en croix).
Ce calvaire a été inauguré par le Cardinal Labouré, archevêque de Rennes, le 19 mai 1904, jour de la saint Yves (né à proximité de Tréguier) et du grand pardon. Cette célébration annuelle rassemble aujourd’hui des milliers de fidèles dans la ville, qui défilent à cette occasion sous la statue d’Ernest Renan.
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