Trenčín est une ville slovaque d’environ 55000 habitants proche de la frontière avec la République tchèque et à 130 km au nord-ouest de Bratislava, surtout connue pour son château dominant la ville, le troisième plus gros du pays. Il a été fondé au XIème siècle, sur une colline aux pentes abruptes sur la base de laquelle se trouve une inscription en latin datée du IIème siècle et gravée dans la roche. Elle est d’autant plus étonnante que l’on se trouve à plus d’une centaine de kilomètres du Limes (frontière de l’empire romain qui longeait le Danube dans la région), ce qui en fait également la preuve connue d’une présence militaire romaine la plus septentrionale en Europe centrale.

Pour la comprendre, il faut se plonger dans le contexte de l’époque: le début du règne de Marc-Aurèle (empereur de 161 à 180) est marqué par la guerre contre les parthes qui avaient envahi l’Arménie, alors état-client de Rome. Ce conflit, long de cinq ans et dirigé par le co-empereur Lucius-Verus (161-169), s’est terminé par le sac de la capitale parthe Ctésiphon et par une extension de l’empire romain en Orient, mais sa réussite ne s’est faite que grâce à l’envoie de renforts notamment des troupes stationnées sur le Limes.
L’affaiblissement de la frontière rhéno-danubienne, conjugué à la peste antonine qui a décimé une partie des effectifs militaires, ont facilité de petites incursions de peuples barbares à l’intérieur de l’empire dont une en Dacie par le peuple sarmates des Iazyges. C’est lors de l’opération punitive lancée par Marc-Aurèle (devenu seul empereur après le décès de Lucius Verus) contre ce peuple en 170 qu’une large coalition de tribus germaniques menée par Ballomar, roi des Marcomans, en profite pour mener un grand raid, dévastant les provinces de Pannonie et Norique avant de mettre le siège devant l’Aquilée, important port romain situé en Italie et donc au cœur de l’empire.
Devant cette menace et d’autres incursions barbares simultanées, Marc-Aurèle a dû suspendre le conflit contre les sarmates et créa la « praetentura Italiae et Alpium » (district militaire regroupant toutes les provinces danubienne et alpines au nord de l’Italie) afin de faciliter la défense de cette zone. Les romains réussirent à bloquer l’invasion des germains, libérer l’Aquilée et à rattraper les envahisseurs alors que ceux-ci s’apprêtaient à retraverser le Danube avec leur butin. Une fois toutes les provinces « nettoyées », l’empereur lança une contre-offensive contre les Marcomans et les Quades, considérés comme les peuples les plus dangereux et occupant pour les premiers l’actuelle Moravie et les seconds la Slovaquie. Il réussit à les soumettre après de nombreux et difficiles combats et leurs fit signer un traité de paix avec des conditions assez sévères. Marc-Aurèle put ensuite achever la guerre punitive qu’il avait dû suspendre contre les Iazyges en 174 et reçut un triomphe deux ans après pour avoir soumis tous les peuples au nord du cours moyen du Danube. C’est d’ailleurs à cette occasion qu’aurait été construit la statue équestre en bronze de Marc Aurèle aujourd’hui sur la place du capitole et représentée sur les pièces de 50 cents italiennes. La paix ne dura pas longtemps car les Marcomans et les Quades se révoltent dès 177, entrainant la seconde expédition contre les germains. Les premiers furent battus l’année suivante avant que les seconds ne soient matés un an après soit en 179.

C’est de cette dernière opération que date l’inscription de Trenčín qui célèbre la victoire des romains sur les Quades. Datée de l’hiver 179/180 et sculptée sur le rocher, sa situation s’explique par la proximité d’une ancienne route commerciale qui suivait le cours de la rivière Váh, un affluent du Danube que les troupes romaines ont suivi pour pénétrer dans le territoire du peuple germanique. L’inscription, en langue latine est écrite comme ceci (entre parenthèses la suite du mots, ceci étant abrégés):

« VICTORIAE

AVGVSTORV(m)

EXERCITUS QVI LAV

GARICIONE SEDIT MIL(ites)

L(egionis) II DCCCLV

M(arcus) VAL(erius) MAXIMIAN(u)S LEG(atus) LEG(ionis)

II AD(iutricis) CVR(avit) F(aciendum) »

« Dédié aux (ou en l’honneur des) empereurs victorieux des 855 soldats de la II. légion de l’armée stationnée près de Laugaricio. Construit (ou dans ce cas gravé) sur les ordres de Marcus Valerius Maximianus, légat de la II. Légion Adiutrix. » (Le légat était l’officier supérieur commandant la légion)

L’authenticité de cette dédicace a pu être prouvée en 1995, lors de fouilles archéologiques à « Diana Veteranorum » (nom antique de la ville de Zana en Algérie), au cours desquelles le socle d’une statue a été retrouvé avec une inscription évoquant le nom de Laugaricio et surtout avec un résumé de la vie du légat de la IIème Légion Marcus Valerius Maximianus. Né à Poetovio (Ptuj en Slovénie), il s’est distingué lors de la première expédition des guerres marcomanes en tuant de ses mains Valao, chef de la tribu des Varasques et accompagna ensuite Marc Aurèle en 175 pour mater la rébellion du gouverneur de Syrie Avidius Cassius en Orient. Nommé ensuite « Procurator Augusti » de la province de Mésie inférieure et nommé au sénat vers 178, il participa à la seconde expédition contre les germains en tant que légat d’abord de la I. Legion Adiutrix, puis de la II. Legion Adiutrix et d’autres légions. Il sera enfin consul vers 186.

Quand à la localisation de Laugaricio, même si ce nom est aujourd’hui considéré comme l’antique dénomination de Trenčín, son positionnement au niveau de la ville actuelle est toujours controversé.

Pour finir l’empereur Marc-Aurèle ne verra pas la fin de ces guerres contre les germains et les sarmates car il mourra de maladie avant la fin en mars 180 (scène d’ailleurs représentée au début du film Gladiator de Ridley Scott). L’inscription de Trenčín est, en plus d’une preuve de la présence militaire romaine au cœur d’une région « barbare », également celle d’un conflit dont la colonne de Marc-Aurèle à Rome, érigée au IIème siècle fait le récit.